dimanche 29 janvier 2012

Autorité et...désobéissance

Autorité, quand tu nous tiens...

Les cours du mardi matin étant consacrés à la réflexion (philosophique, mais aussi sociologique et psychologique), j'ai ces dernières semaines pu discuter avec mes élèves autour de la soumission à l'autorité...

Certain(e)s d'entre vous connaissent peut-être l'expérience de Milgram, expérience de psycho-sociologie ayant mis en relief le fait que la plupart des gens obéissent à une autorité (environ 65%), y compris lorsque les ordres donnés par celle-ci sont en totale contradiction avec les valeurs de la personne qui obéit. J'ai souhaité partir de cette expérience afin de leur montrer qu'une très grande prudence s'impose en matière d'autorité.

(http://fr.wikipedia.org/wiki/Expérience_de_Milgram pour ceux qui souhaitent en savoir un peu plus).

Pour commencer la réflexion, j'ai souhaité demander aux jeunes s'ils étaient capables de tuer une personne si on leur demandait. A ma (première) grande stupéfaction, la plupart d'entre eux m'ont répondu "oui"...
Afin de faire évoluer un peu la réponse et espérer obtenir une réponse qui me choquerait moins, j'ai transformé la question de cette manière "seriez-vous capable de tuer quelqu'un qui ne vous aurait rien fait ?". Petit ouf de soulagement, la grande majorité m'a cette fois-ci répondu par la négative...

En entamant le débat, je pensais initialement que la question principale serait "suis-je capable de désobéir ?".
Au bout de cinq minutes et suite à ces deux réponses, j'avais compris qu'elle serait "Est-il possible de désobéir ?".

J'ai poursuivi ma réflexion à l'aide de questions censées les interpeller :
"En tant que votre professeur de français, exécuteriez vous un de mes ordres, quel qu'il soit ?".
Cette question m'a montré que j'avais, semble-t-il, plus de pouvoir entre mes mains que je ne le pensais...Odilon m'a immédiatement répondu que oui. Étrange pouvoir que j'ai sur Odilon que de lui faire faire n'importe quoi, encore plus étrange quand on sait que je suis l'ainé d'Odilon...de six jours ! Espérant qu'il ne s'agissait seulement que de paroles, j'ai tenté de le confronter à la réalité :
- "Mets toi sous la table, puis déshabille-toi entièrement". Et Odilon s'est exécuté...
Rassurez-vous, je ne l'ai pas laissé aller jusqu'au bout...!
Curieuse obéissance à laquelle je n'étais absolument pas préparé. Mes élèves m'ont judicieusement fait remarqué qu'Odilon attendait peut-être justement que je l'empêche d'aller jusqu'au bout de cet ordre et qu'on ne saura jamais s'il m'aurait vraiment obéit. Pas faux. Il n'empêche que la question se pose de l'autorité dont certains peuvent abuser pour assouvir leurs propres désirs.

En parallèle de mon cours sur l'expérience de Milgram, j'ai donc tenté de faire le lien avec quelques dictatures, fondées initialement sur l'obéissance aveugle de certaines personnes à une autre afin de montrer les conséquences que celle-ci pouvait engendrer. J'ai ainsi pris l'exemple du génocide juif pendant la seconde guerre mondiale, montrant que si Hitler a donné les ordres et qu'il est le principal responsable de ce génocide, ce n'est pas lui qui les a exécutés de sa propre main : il a bien fallu que des personnes lui obéissent. Bien entendu me direz-vous, c'est un cas d'obéissance un peu extrême que j'ai donné là...
L'exemple a fait réagir, et c'est bien ce que j'ai cherché.
S'en est donc suivi une réflexion sur la responsabilité de celui qui donne des ordres et sur la responsabilité de celui qui les exécute, certains des jeunes justifiant leur obéissance derrière un "ce n'est pas ma faute ni ma responsabilité".
Sans chercher pour autant à les culpabiliser, je souhaitais simplement leur faire prendre conscience qu'obéir sans réfléchir n'était peut-être pas non plus la meilleure solution...j'ai appuyé tout ceci en les interpellant sur la vie dans laquelle ils étaient en train de s'engager (les prêtres spiritains sont principalement des missionnaires et ont donc pour vocation de changer les choses, notamment en s'engageant auprès des plus pauvres). Changer les choses, ça nécessite de s'opposer à quelques personnes, et même parfois de désobéir...
Nous avons poursuivi sur la notion de liberté et sur le rôle d'un soldat (sans doute pour ça que je n'aime pas trop l'armée et sa capacité à transformer en pantin des personnes capables de réfléchir...). Est-on vraiment libre en obéissant sans réfléchir, ou sommes-nous juste les pantins de quelques personnes qui agissent dans leur propre intérêt ?



Fabrice a avancé par la suite que son obéissance dépendrait des conditions physiques et psychologiques dans lesquelles il serait sur le moment et des conséquences de sa désobéissance. Il est bien évident qu'il est plus difficile de désobéir lorsque quelque chose qui nous tient à cœur (notre vie ou celle de nos proches par exemple) est en jeu...

Une semaine plus tard, alors que je leur ai donné leurs devoirs pour la semaine suivante, Mercié s'est écrié, comme pour chercher la faille dans mon raisonnement :
"Donc ça veut dire que je peux faire le choix de ne pas t'obéir et de ne pas faire mon devoir ?!".
Si Mercié a dit cette phrase en riant, je reste cependant persuadé qu'il cherchait là une bonne excuse pour ne pas travailler...j'avais anticipé ce genre de remarque, et ma réponse fut celle-ci :
"Tout à fait. Mais quand tu refuses d'obéir à une autorité, quelle qu'elle soit, tu dois par la suite assumer les conséquences de tes actes, et c'est justement en cela que c'est une chose difficile que de désobéir. Ainsi, si tu ne fais pas ton devoir de manière volontaire, je commencerai tout d'abord par te faire la remarque, Christian reprendrait probablement ceci avec toi, et si ta désobéissance persiste, cela pourrait aller jusqu'à l'exclusion du foyer. Quand à me demander l'autorisation pour désobéir, ce n'est déjà plus de la désobéissance...par définition, la désobéissance se situe en dehors de la loi."
J'ai repris, généralisant un peu mes propos :
"La réflexion que nous venons d'avoir sur l'obéissance à l'autorité n'a pas pour but de vous persuader que toute autorité est mauvaise et qu'il faut systématiquement la bafouer. L'autorité a ceci de bon qu'elle structure la société et qu'elle empêche chacun de faire ce que bon lui semble. Si vous êtes les personnes que vous êtes actuellement, c'est parce que vos parents et vos proches ont eu, ou ont encore, de l'autorité sur vous pour vous éduquer. Lorsque vous désobéissez, posez vous la question "est-ce un caprice de ma part et une simple excuse pour ne rien faire, ou un réel désir d'être fidèle à mes valeurs ?", dans tous les cas, il vous faudra assumer les conséquences de vos actes."

A la fin de ces deux cours, j'ai changé quelque peu de vision sur moi-même...moi qui croyais être quelqu'un de très obéissant, pas très rebelle et faisant en général ce qu'on lui demandait de faire, j'ai compris que la désobéissance passe déjà dans la volonté de désobéir, dans la volonté de rester fidèle à ses propres valeurs et de suivre une ligne de conduite.

Je n'ai pas cherché à faire de mes élèves des réfractaires et des rebelles (impossible à faire en quelques heures !), mais j'ai cependant souhaité les rappeler à leur propre conscience et leurs propres valeurs. A mon sens fondamental pour pouvoir construire un monde meilleur...
C'est dans ces moments-là que la coopération prend tout son sens. Au-delà des connaissances et du savoir, il me parait vraiment important de pouvoir leur transmettre des valeurs et leur donner la possibilité d'être acteur de leur propre vie...pour qu'ils puissent à leur tour changer le monde !

1 commentaire:

  1. Passionnant ton blog Augustin ! J'avais laissé ton mail de départ dans ma boite mail, et je redécouvre tout cela aujourd'hui... Bravo pour ce que tu donnes là bas, ça m'a l'air vraiment génial ! Bref, maintenant je viendrais voir un peu plus régulièrement...
    Claire (Lenne, de la super frat jérico de je ne sais plus quelle année...^^)

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