mardi 29 mai 2012

Être vazaha : chapitre 1

Être vazaha (le Français, le blanc) au milieu des Malgaches n’est pas de tout repos…Être vazaha, cela sous-entend être riche, faire partie du pays qui a colonisé Madagascar, plus généralement, faire partie des blancs…Être vazaha, c’est aussi être étranger au milieu de personnes qui parlent une langue inconnue, dans une culture que l’on ne comprend pas toujours et qui ne nous comprend pas toujours…

Pas facile de se positionner dans la rencontre lorsque l’on prend conscience de tout ceci.

Commençons par le premier point…faire partie « des riches ». Je n’aime pas trop ce terme, mais je suis bien forcé de l’admettre, encore plus après avoir vu les conditions des uns et des autres ici, des assurances dont je bénéficie. Je n’aurais jamais pensé utiliser un jour cette expression pour me qualifier, mais je crois bien que je suis né avec une cuillère en or dans la bouche…
Et oui...les riches aussi ont leurs problèmes !
Tout ce que je raconte est bien peu à côté des
réels problèmes d'argent que vivent les familles...

Les soucis d’argent sont quotidiens ici et c’en est presque embarrassant pour moi…vous savez ?

Un peu comme lorsque vous avez eu 20 en mathématiques au bac et que personne dans la classe n’a eu la moyenne… (je suis sûr que vous avez un peu d’imagination… !) Bien que content de notre situation, on n’ose pas trop aller consoler les autres pour leur dire « ça va aller » car on a peur de se prendre le retour de flamme « facile à dire pour toi ! ».
En sachant tout ce que nous représentons par notre statut en étant ici, il faut faire le tri parmi les personnes qui nous apprécient pour ce que nous sommes réellement et celles qui voient seulement en nous le vazaha plein de sous et qui souhaitent qu’on les voit avec (connaître un vazaha, c’est parfois prestigieux…). Et puis, il y a le statut à tenir : il m’est arrivé deux ou trois fois de voir certaines personnes rire de moi en me voyant marcher à pied sur la route. Un vazaha, ça circule en voiture…pas à pied !

J’ai appris cette année que le tri dans ces relations s’effectue avec le temps, en apprenant à connaître les gens. Aux demandes de « prêt » qui m’ont été faites, j’avais pris la décision de toujours refuser pour ne pas être considéré comme une vache à lait. Et puis finalement, j’ai accepté les quelques demandes de mes amis, en faisant le pari de la confiance, pari que je n’ai jamais regretté jusqu’ici. Dans ces relations créées, je sens comme une question d’honneur à me rendre l’argent prêté.
Au fond, tant pis si celui-ci ne m’est pas rendu…je ne recommencerai pas ! Comme le dit un ami coopérant « Je veux bien me faire avoir, mais si c’est moi qui le décide ! ».
Une fois que la confiance est présente, qu’on connait les personnes et leurs difficultés quotidiennes, l’effet inverse se produit…on a envie d’aider et de donner ! Nourri, logé et blanchi : que faire de mon salaire de 300.000 Ariarys (120 euros environ), alors qu’à côté de ça, je sens les difficultés financières peser au quotidien dans les familles que je côtoie…Envie d’aider certes, mais pour créer une dépendance inutile ? Je quitte Diégo dans un mois ! Dommage, j’aurais vraiment souhaité pouvoir accompagner un peu plus longtemps ces personnes.


Être vazaha, c’est aussi faire partie du peuple colon…et ça, je l’ai appris bien malgré moi. Bien que j’eusse aimé arriver ici complètement détaché de l’histoire de mon pays, d’accord ou pas d’accord avec les agissements de celui-ci, ma couleur de peau ne trompe pas grand monde : je suis Français ! Pour ceux qui tiennent encore une rancœur contre la colonisation, la France reste la cause de tous les maux malgaches et donc à travers elle : tous les Français. Il faut dire que le comportement de certains Français présents à Diégo ne nous aide pas à être très bien perçus (tourisme sexuel…). Ma coopération et Gaby en ont fait les frais…Dans un climat un peu suspicieux où tout ce que nous dirons sera retenu contre nous, il est difficile de pouvoir établir de vraies relations de confiance et de surmonter les différences culturelles.
Être professeur de français n’arrange en rien les choses, le risque étant d’être accusé de vouloir imposer sa langue aux autres…Dans mes cours de philo, dans les exposés sur d’autres pays que j’ai demandés à mes élèves, l’objectivité reste de rigueur, y compris lorsqu’il est question d’oppression par les blancs (apartheid).
L’histoire de la colonisation à Madagascar, de l’esclavage du peuple noir par les blancs fait partie de l’histoire de mon pays et ça n’est pas toujours facile à assumer. Après huit mois de coopération, je sens maintenant dans les discussions avec les uns et les autres les personnes qui vont au-delà de tout cela…Il n’y a pas de coïncidence, je m’entends bien avec elles !
Suite au prochain épisode...

samedi 19 mai 2012

Et la vie continue...

Déjà plus de deux semaines que je n'ai pas écrit...une éternité quand on sait que je me fixais d'écrire environ un article toutes les semaines ! Commençons peut-être par vous annoncer de manière officielle mon retour en France fin août...Le titre de mon blog est donc maintenant obsolète...
Après de multiples réflexions, nous n'avons pas pu trouver de mission sur laquelle je puisse continuer ma coopération l'année prochaine à Madagascar. Ou bien les missions ne me correspondaient pas, ou bien je ne correspondais pas aux missions...!

Outre cette décision, les dernières semaines ont été riches en rencontres, en projets, en émotions...
Voici peut-être déjà en avant-première, la dernière réalisation cinématographique des enfants :




Un film sur lequel nous avons travaillé les jours fériés, les dimanches après-midi...ils sont de plus en plus nombreux à vouloir y participer, prennent soin de trouver des habits appropriés à leur rôle, se maquillent en conséquence sur un scénario beaucoup plus construit que le précédent. Ils apprennent à être patient, à être rigoureux...s'efforcent de faire la traduction franco-gasy (franco-malgache), crient "moteur" et "action" à chaque fois qu'ils appuient sur "record".
Voir leurs rires, leur impatience à filmer, les voir commencer à maitriser le cadrage, le silence autour de la scène et les raccords (mettre par exemple les mêmes habits entre deux scènes, même quand elles sont filmées à deux jours d'intervalle). Les entendre répéter les dialogues et jouer leur rôle avec un très grand sérieux. C'est un vrai bonheur.
Bien entendu, le film n'est pas parfait, il y a quelques ratés que vous allez surement repérer...désolé par avance de la qualité de la vidéo, la transférer sur internet tout en conservant sa qualité originale n'est pas aisé...
Le film n'était pas encore fini, que les enfants travaillaient déjà sur un nouveau scénario...

Je vous parlais dans mon précédent message de mes "cours" de cuisine dans la famille de Zinah et Cynthia...les recettes sont prêtes, il me tarde de vous les préparer lors de mon retour en France ! Une question seulement...la farine de riz, on en trouve en France ?!
Ces temps partagés ont été de vraies mines d'or pour moi, me donnant vraiment l'impression d'être au cœur de Madagascar...Suite à ces temps d'échange et de partage, de simplicité et d'amitié, mon plus grand plaisir a été d'entendre Jeannine me dire hier en malgache (traduit par ses filles) alors que je lui demandais un gros service "bien sûr, c'est une évidence ! C'est comme si tu faisais partie de la famille maintenant !". Une phrase qui m'a profondément touché et me fait penser que finalement, mon intégration ici n'est pas si mauvaise que ces derniers mois auraient pu me faire croire...
Il parait que cela fait partie de la coopération, de nouer des relations, de s'attacher à des personnes qu'on sait qu'on ne reverra probablement jamais...C'est au moment où je me fais inviter à droite à gauche, que des personnes en qui j'ai confiance peuvent m'apprendre le malgache, que je peux utiliser le terme "amitié" à Madagascar qu'il va me falloir quitter ces personnes qui comptent maintenant pour moi...Difficile cette sensation de se dire qu'on va définitivement quitter ses amis...Sensation qu'on ne ressent pas souvent en France, tant la possibilité de se revoir un jour existe !
Alors que faire dans ces relations ? Se protéger sans trop s'investir dans celles-ci, pour ne pas risquer de faire mal et de se faire mal lors de la séparation ? Ou bien les vivre à fond jusqu'au bout, en risquant un retour d'autant plus brutal ? Peut-être juste prendre les choses comme elles viennent, profiter les uns des autres, de l'instant présent pour ne rien regretter ensuite ? Vivre. Tout simplement...

Mais ça, je l'ai déjà dit...à vrai dire, cet article ressemble sensiblement à ceux que j'ai écrits précédemment, preuve à quel point ce sentiment est fort.
Huit mois...peut-être le temps qu'il faut pour commencer vraiment à intérioriser une culture, adopter quelques unes de leur manière de fonctionner et voir les réactions des uns et des autres d'une autre façon...

mardi 1 mai 2012

Simples partages


Malgré les péripéties des mois passés (et encore présentes dans les têtes), ma coopération ici n’est pas finie, et je goûte encore aux plaisirs de ma présence ici à travers les nombreuses rencontres que je fais.

Il y a quelques jours, j’ai demandé à Cynthia (sœur de Zinah et fille de Jeannine, une des femmes de ménage du foyer), s’il était possible de passer un après-midi à apprendre quelques recettes malgaches avec elles et leur mère…L’idée même de rentrer un jour en France sans pouvoir me cuisiner quelques spécialités m’était en effet très désagréable !
Au programme (à ma demande) : beignets de banane (mofo akondro) et sambosa…Les différents bazars regorgent en effet d’étalages à faire saliver n’importe quel amateur de ces deux plats, dont je fais partie !

Dimanche après-midi, je me suis donc rendu chez elles et ce fut un chouette moment passé avec toute la famille et leurs amis présents à ce moment là…
Un accueil chaleureux, dans leur petit salon au cœur duquel se trouve tous les meubles de la maison…quelques fauteuils, la télé, une étagère et une table basse, le tout dans 5m² de surface !

Des discussions toutes simples limitées par l’obstacle de la langue, ponctuées parfois par un « Cynthia ! » ou « Zinah ! » pour que l’une des deux vienne traduire…pour le reste, on se débrouille avec les mains, les mots communs à la langue française et à la langue malgache, le peu de connaissance que j’ai en Malgache et qu’elles ont en Français. On ne se dit pas grand-chose, mais il fait bon être ensemble.

Des rires devant mes « boulettes » de cuisinier (dans les deux sens du terme…)…lorsque je renverse une banane par terre, me retrouve avec de la pate de beignet sur l’orteil (je m’y prends vraiment comme un pied !) ou encore lorsque mon sambosa est aussi réussi que mon bac de philo (si si, je suis sûr que vous comprenez !). L’occasion rêvée de faire un concours avec Zinah du plus beau sambosa parmi les moins bien réussis !

La joie de voir les mères me confier leurs difficultés du quotidien mêlée à la tristesse d’être impuissant face à celles-ci…je repars en gestuelle pour essayer de leur donner des débuts de solution, les écoute tour à tour, mesure intérieurement la chance que j’ai de ne pas avoir de difficultés financières.

Apprécier de les connaître un peu plus, de partager leurs rires, même lorsque je ne comprends rien…sourire de temps en temps lorsque je capte un mot ou deux, manger les sambosas ensemble en se disant qu’ils sont excellents et se faire comprendre qu’on va tous grossir. Repérer les relations entre la mère et ses filles et les voir rire ensemble, constater leur grande générosité lorsqu’elles refusent que je paye les ingrédients et me font un petit sac avec une dizaine de sambosas…Apprendre à aplatir la pate avec une bouteille de bière, faute de rouleau à pâtisserie tout en parlant du père Gaby, éclabousser d’un verre d’eau Cynthia et en recevoir un en échange…Prononcer « godrogodro » et « Hazafady » avec eux tout en se moquant de ma prononciation et me dire que j’aimerais bien connaître ces personnes dans leur langue maternelle.


Durant cet après-midi, je suis revenu à l’état d’émerveillement des premiers mois…un peu d’émerveillement au milieu des difficultés quotidiennes du foyer, un peu plus de relations nouées qui me font réaliser que c’est au moment où je vais partir d’ici que les gens me paraissent plus proches…Il me reste quelques mois pour profiter de leur présence et rire avec eux. Prochaine étape : dimanche prochain pour la recette du godrogodro, et ce n’est pas de la tarte…

Quelques vidéos, pour vous donner envie de venir goûter à ma cuisine quand je serai de retour en France, vous présenter les gens qui m'entouraient (Zinah filme la première vidéo, mais c'est à elle que je m'adresse dans la seconde...Cynthia est à ma gauche dans la première, avec le plat de bananes à la main et Jeannine, leur mère, retourne les bananes et les sambosas !) et vous donner un aperçu de cet après-midi !