Aimer autrement

Partir à l'étranger, c'est découvrir une autre façon de penser, une autre façon de vivre, une autre façon d'aimer. La théorie parait facile, la pratique l'est un peu moins même si cela reste très enrichissant.

Confronté à une autre culture, il n'est pas toujours évident de comprendre pourquoi l'autre agit de telle manière ou de telle autre...

Si je suis initialement éducateur spécialisé, c'est bien parce que l'autre est important pour moi, en tant que personne unique. J'essaye de ne pas me moquer, j'essaye de ne pas bizuter, d'humilier, de faire travailler les autres même lorsque je peux faire les choses moi-même...Pour moi, aimer l'autre, c'est l'écouter, l'aider, me rendre disponible, être gentil...

Alors c'est vrai, il a été difficile pour moi de comprendre pourquoi Christian riait des jeunes lorsque ceux-ci arrivaient au foyer en début d'année, pourquoi il en a fait courir certains derrière le 4x4 sur 1 km en type de bizutage...quelques actions que je ne comprenais pas...

Et puis, jeudi dernier, j'ai eu un élément de réponse qui depuis, m'a aidé à comprendre beaucoup de choses.

Le jeudi après-midi est un des temps libre de la semaine. Les jeunes sont donc libres d'aller en ville, de rester au foyer, ou de se balader (petite information importante : la ville de Diego se situe à 2-3km du foyer). 

A cette occasion, j'ai accompagné les jeunes, je souhaitais notamment aller acheter en leur compagnie un sac à dos, accompagné de Malgaches, j'avais à priori moins de chance que les prix s'envolent...

Nous sommes donc allés en ville à pied, marchant pendant une bonne trentaine de minutes...Sur place, chacun a fait ses courses, et Fabrice (l'un des jeunes), qui habite à Diego nous a emmenés chez lui pour nous présenter à sa famille.

Lorsque nous avons pris le chemin du retour, Ginau (un autre jeune) a aperçu l'une des voitures du foyer stationnée au coin d'une rue. Accueillant avec beaucoup de joie la perspective de pouvoir profiter du véhicule pour rentrer au foyer et s'éviter 35 minutes de marche, il ne nous restait qu'à attendre le retour du conducteur (Gaby, Christian ou Joseph, les trois autres formateurs du foyer), ce que nous avons fait.

Cinq minutes plus tard, nous avons vu apparaitre Christian au loin accompagné d'une autre personne. Arrivé à notre hauteur, il a expliqué aux jeunes : "Ok, je raccompagne le professeur chez lui et je vous prends. Commencez à marcher sur la route principale, je vous prendrai au passage". Voyant que je suivais les jeunes, il a rajouté à mon intention "Viens avec moi Augustin hein !" sous-entendant que je n'étais pas concerné par les consignes. Dans ma volonté de ne pas trop profiter de ma position qui me laissait la possibilité de prendre la voiture, j'ai choisi d'aller marcher avec les jeunes à attendre que Christian nous prenne en passant sur la route.

Fabrice, voyant que je les suivais, s'est mis à me remercier très rapidement "Merci de nous accompagner Augustin !". Pensant qu'il me remerciait parce que je les suivais par solidarité, je lui ai juste répondu que cela me paraissait normal...Mais Fabrice s'est mis à enchainer "Tu sais, si tu n'étais pas venu avec nous, Christian ne serait pas passé nous prendre sur la route". Il a poursuivi "En fait, ce n'est pas qu'il ne nous aime pas, mais il aime bien nous faire travailler un peu plus, nous faire marcher un peu plus". Ginau a confirmé ses propos. Dix minutes plus tard, au moment où une grosse averse s'abattait, Christian passait nous prendre...J'avais servi de garantie au fait que Christian passe nous prendre, sans le savoir...

Suite à cette conversation et en en discutant avec quelques personnes, j'ai compris beaucoup de choses...le comportement de Christian envers les jeunes n'est pas nécessairement méchant, sa façon d'aimer les jeunes est juste différente de la mienne. Dans un esprit de formation à la vie spiritaine et missionnaire, Christian préfère sans doute les endurcir un peu afin que leur vie au foyer se rapproche le plus possible de la vie qu'ils auront à mener à l'étranger lorsqu'ils seront prêtres...De ce point de vue, je pourrais presque me reprocher d'être trop gentil avec eux ! Mais au fond, je crois qu'un peu de diversité dans l'équipe de formation ne pourra que leur être bénéfique par la suite...A chacun sa manière de former, à chacun sa manière d'aimer...

Ce petit épisode m'a aidé à me rapprocher un peu de l'esprit de formation du foyer. Jusqu'à présent, mon positionnement était quelque peu difficile, coincé entre mon appartenance à l'équipe de formation et mon désaccord concernant les quelques méthodes employées : il n'est pas facile de se situer dans une équipe dont l'on désapprouve celles-ci, surtout lorsque l'on se sent plus proche des jeunes, notamment par la proximité de nos âges...
Maintenant, je me dis que chacun a sa façon d'aimer autour de nous mais qu'il faut juste prendre le temps de changer son regard...chacun aime les autres...à sa manière.