Certains disent que l’argent ne fait pas le bonheur…ou pire, que l’argent n’a pas d’odeur !
Ici, comme partout, l’argent est la source de beaucoup de convoitise…reflet d’un certain statut social, étalé par les plus riches, recherché par les plus pauvres. Avant tout, il s’agit de pouvoir faire vivre sa famille, très importante ici si j’en crois mes élèves. Le moindre petit billet a donc son importance. Des petits billets qui n’ont parfois pour nous qu’une très petite valeur, 3-4 centimes d’euro tout au plus…
Avant d’aller plus loin dans ma réflexion, voici un petit exposé de la monnaie malgache, vous verrez que c’est plus compliqué qu’il n’y parait !
La monnaie malgache est l’ariary (prononcez « ariar »), mais les Malgaches ont la « désagréable » habitude, pour nous, européens, de donner les prix en francs (francs malgaches) ce qui donne une certaine confusion dans nos esprits… Le FMG (franc malgache) était en effet la monnaie de Madagascar jusqu’en 2003 et reste logiquement dans les esprits de ses autochtones.
Un ariary = 5 francs malgaches
Lorsqu’un commerçant vous demande de lui payer la somme de 20.000, comprenez donc implicitement 20.000 francs, et donc 4.000 ariarys ! Un européen mal habitué ou non averti ferait donc vite fait de donner la somme de 20.000 ariarys pour payer son achat, et paierait en conséquence…5 fois plus cher que le prix demandé ! Pas de pitié pour le riche européen, la plupart des commerçants, non pas nécessairement malhonnêtes, mais plutôt désireux de faire vivre leur famille, se gardera bien de vous faire la remarque…
Essayons à présent de vous donner une idée « économique » de la valeur de l’argent ici…
La monnaie malgache se découpe principalement en billet, les pièces n’ayant quasiment aucune valeur. (Des billets de 100, 200, 500, 1000, 2000, 5000 et 10000 ariarys).
Pour vous donner un ordre d’idée, actuellement, 1 euro est compris entre environ 2500 et 3000 ariarys (suivant le cours), ce qui donne ces prix (environ) :
100 Ar : 3,5 cts 1000 Ar : 35 cts 10.000 Ar : 3,5 euros
200 Ar : 7 cts 2000 Ar : 70 cts
500 Ar : 17,5 cts 5000 Ar : 1,75 euro
Vous comprendrez à présent pourquoi les pièces de 20 Ar n’ont quasiment pas de valeur et pourquoi les Européens sont très riches aux yeux des Malgaches…quoi de plus normal, quand un Européen, pour sortir 100 euros de la banque, se verra distribuer une trentaine de billets de 10.000 ariarys…une fortune ici quand on gagne pour nourrir sa famille la pénible somme de 100.000 ariarys par mois.
Mais vous donner le cours de la monnaie malgache ne vous aidera cependant pas à cerner entièrement la « réelle » valeur de ces billets. A vrai dire, lorsque j’ai eu pour la première fois un billet de 10.000 Ar dans les mains, ma réaction fut probablement la même que la votre actuellement : « j’ai dans ma main 3,5 euros ». La comparaison est immédiate.
Après quelques mois passés ici, je peux dire que l’importance que j’attache à ces billets est la même que celle que j’attache aux billets de 10 ou 20 euros lorsque je suis en France. Pour les Malgaches, l’importance du billet de 10.000 Ar est probablement la même qu’un billet de 50 ou de 100 euros…
Le coût de la vie étant très bas, un billet de 10.000 ariarys permet de faire beaucoup de choses, d'où son importance !
Voici quelques prix divers et variés pour vous donner une idée du cout de la vie...
- Lors de la quête à la messe, quand ils le peuvent les malgaches mettent dans la corbeille un ou deux billets de 100 Ar (c’est-à dire 5 cts d’euro en moyenne).
- Ma lampe de poche a couté 3000 Ar (1 euro).
- Le billet de bus vaut 300 Ar (10 cts) et le taxi, selon les régions, entre 1000 et 4000 Ar (35cts et 1,4 euro).
- L’abonnement internet pour un mois : 130000 Ar (45 euros).
- 1500 Ar (50 cts) le kilo de tomates.
En revanche, lorsque je souhaite pouvoir profiter un peu de produits « Français », il me faut puiser dans mes économies…un shampooing coute ainsi 15.000 Ar (5 euros), c’est-à-dire une véritable fortune, produit d’importation oblige…et les pots de Nutella atteignent des prix records : 26000 Ar (9 euros) (personnellement, cela ne me manque pas, mais j’en connais certains pour qui c’est le cas !).
Venons-en maintenant à ce que je vous disais au début de cet article : l’argent n’a pas d’odeur. Croyez-moi ou non, ce proverbe ne tire certainement pas ses racines de nos amis Malgaches.
La vidéo suivante vous aidera à comprendre de quoi je parle…entre billet neuf et billet utilisé, il existe tout un monde !
Manipulé au milieu de la terre, des saletés, de la sueur et des salades, entre la couche du petit et les tomates du jour (ou de la semaine dernière), les billets de 100, 200, 500, 1000, 2000 et 5000 à un moindre degré sont touchés, retouchés et rangés dans des endroits improbables, en deviennent salis et poisseux, ternis et crasseux pour finalement rendre illisible leur valeur initiale…
Si si, l’argent a une odeur, mais je n’irai pas jusqu’à vous la décrire…
Quant à l’argent ne fait pas le bonheur…à en voir l’énergie que chacun met pour ramener un ou deux malheureux billets, à en voir les dures conditions de vie des familles qui n’ont pas assez, on peut se dire que, certes, l’argent ne fait pas le bonheur, mais il y contribue. Ici, pas d’allocations familiales ni de RSA, et une famille qui n’a pas de revenu sera presque condamnée…
Ici, la débrouille prévaut sur tout le reste et tous les moyens sont bons pour ramener un peu d'argent à la maison...les vols, à l’arrachée ou non, sont fréquents, tout comme la corruption ou les détournements d’argent…
Plus généralement, dans un pays en pleine crise politique et économique, (Madagascar n’a pas de président depuis bientôt trois ans), la plupart des personnes cherche avant tout à survivre et ne peut pour l'instant pas compter sur l'aide de l’État. La notion de survie empêche alors toute idée de reconstruction à long terme du pays, notamment à travers l'installation de la corruption...
Comme partout, il existe des gens désireux de faire avancer leur pays, mais la difficulté principale réside ici dans l’absence d’un Etat suffisamment stable et influent capable de faire avancer les choses dans l’intérêt de sa population...Celui-ci étant absent, il devient difficile de cadrer les nombreux débordements liés à l'argent...
Au milieu de tout cela, il y a nous, les vazahas (les blancs) avec notre argent et nos quelques questions : comment nous comporter face à cette corruption, face à la pauvreté, face aux prix qui augmentent simplement pour nous...il n'est pas toujours évident d'adopter la bonne posture, surtout lorsque notre couleur de peau trahit notre aisance financière. Comment trouver le bon dosage parmi toutes ces données ?
Donner, sans étaler notre richesse, faire plaisir, sans rendre dépendant...bref, dans le principe de la coopé, aider de manière durable, intelligente et de manière à permettre une construction sur long terme...Pas facile !
Mon salaire de coopérant, déjà au-dessus de la moyenne malgache, mais largement en dessous de la moyenne française (100 euros/mois), permet d'être plus proche des conditions de vie de ceux que je côtoie au quotidien et d'être en conséquence, plus proche d'eux humainement.
Car au fond, c'est peut-être bien là le principal, si la richesse matérielle est importante pour pouvoir vivre, il n'en demeure pas moins que la richesse des relations humaines, est pour sa part, indispensable...et à ce jeu-là, il existe de nombreux milliardaires...