Être vazaha (le Français, le blanc) au milieu des Malgaches n’est pas de
tout repos…Être vazaha, cela sous-entend être riche, faire partie du pays qui a
colonisé Madagascar, plus généralement, faire partie des blancs…Être vazaha,
c’est aussi être étranger au milieu de personnes qui parlent une langue
inconnue, dans une culture que l’on ne comprend pas toujours et qui ne nous
comprend pas toujours…
Pas facile de se positionner dans la rencontre lorsque l’on prend conscience
de tout ceci.
Commençons par le premier point…faire partie « des riches ». Je n’aime
pas trop ce terme, mais je suis bien forcé de l’admettre, encore plus après
avoir vu les conditions des uns et des autres ici, des assurances dont je
bénéficie. Je n’aurais jamais pensé utiliser un jour cette expression pour me
qualifier, mais je crois bien que je suis né avec une cuillère en or dans la
bouche…
Et oui...les riches aussi ont leurs problèmes ! Tout ce que je raconte est bien peu à côté des réels problèmes d'argent que vivent les familles... |
Les soucis d’argent sont quotidiens ici et c’en est presque embarrassant pour
moi…vous savez ?
Un peu comme lorsque vous avez eu 20 en mathématiques au
bac et que personne dans la classe n’a eu la moyenne… (je suis sûr que vous
avez un peu d’imagination… !) Bien que content de notre situation, on n’ose
pas trop aller consoler les autres pour leur dire « ça va aller » car
on a peur de se prendre le retour de flamme « facile à dire pour toi !
».
En sachant tout ce que nous représentons par notre statut en étant ici, il
faut faire le tri parmi les personnes qui nous apprécient pour ce que nous
sommes réellement et celles qui voient seulement en nous le vazaha plein de
sous et qui souhaitent qu’on les voit avec (connaître un vazaha, c’est parfois
prestigieux…). Et puis, il y a le statut à tenir : il m’est arrivé deux ou
trois fois de voir certaines personnes rire de moi en me voyant marcher à pied
sur la route. Un vazaha, ça circule en voiture…pas à pied !
J’ai appris cette année que le tri dans ces relations s’effectue avec le
temps, en apprenant à connaître les gens. Aux demandes de « prêt »
qui m’ont été faites, j’avais pris la décision de toujours refuser pour ne pas
être considéré comme une vache à lait. Et puis finalement, j’ai accepté les
quelques demandes de mes amis, en faisant le pari de la confiance, pari que je n’ai
jamais regretté jusqu’ici. Dans ces relations créées, je sens comme une question
d’honneur à me rendre l’argent prêté.
Au fond, tant pis si celui-ci ne m’est pas rendu…je ne recommencerai pas !
Comme le dit un ami coopérant « Je veux bien me faire avoir, mais si c’est
moi qui le décide ! ».
Une fois que la confiance est présente, qu’on connait les personnes et leurs
difficultés quotidiennes, l’effet inverse se produit…on a envie d’aider et de
donner ! Nourri, logé et blanchi : que faire de mon salaire de 300.000
Ariarys (120 euros environ), alors qu’à côté de ça, je sens les difficultés financières
peser au quotidien dans les familles que je côtoie…Envie d’aider certes, mais
pour créer une dépendance inutile ? Je quitte Diégo dans un mois !
Dommage, j’aurais vraiment souhaité pouvoir accompagner un peu plus longtemps
ces personnes.
Être vazaha, c’est aussi faire partie du peuple colon…et ça, je l’ai appris
bien malgré moi. Bien que j’eusse aimé arriver ici complètement détaché de l’histoire
de mon pays, d’accord ou pas d’accord avec les agissements de celui-ci, ma
couleur de peau ne trompe pas grand monde : je suis Français ! Pour
ceux qui tiennent encore une rancœur contre la colonisation, la France reste la
cause de tous les maux malgaches et donc à travers elle : tous les
Français. Il faut dire que le comportement de certains Français présents
à Diégo ne nous aide pas à être très bien perçus (tourisme sexuel…). Ma coopération
et Gaby en ont fait les frais…Dans un climat un peu suspicieux où tout ce que
nous dirons sera retenu contre nous, il est difficile de pouvoir établir de
vraies relations de confiance et de surmonter les différences culturelles.
Être professeur de français n’arrange en rien les choses, le risque étant d’être
accusé de vouloir imposer sa langue aux autres…Dans mes cours de philo, dans
les exposés sur d’autres pays que j’ai demandés à mes élèves, l’objectivité
reste de rigueur, y compris lorsqu’il est
question d’oppression par les blancs (apartheid).
L’histoire de la colonisation à Madagascar, de l’esclavage du peuple noir
par les blancs fait partie de l’histoire de mon pays et ça n’est pas toujours
facile à assumer. Après huit mois de coopération, je sens maintenant dans les discussions
avec les uns et les autres les personnes qui vont au-delà de tout cela…Il n’y a
pas de coïncidence, je m’entends bien avec elles !
Suite au prochain épisode...